La diversité est l’autre nom de l’univers

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Section 2

Insistance de l’Infini

    On nous ouvrit la porte. La chambre n’était pas vide. Ayant compris aussitôt ce qui l’emplissait, nous nous sommes dirigés vers l’autre bout de la pièce. Le rideau écarté, la porte-fenêtre ouverte, l’océan nocturne se jeta sur nous ; le fourmillement du bruit gigantesque qui se déversait, nous enveloppa. 
    Malgré la fatigue (dans trois ou quatre heures il ferait jour), nous demeurâmes longtemps sur le balcon, comme invités expressément par le spectacle qui s’offrait. Nous le surplombions depuis le huitième étage de l’hôtel et, en même temps, nous y étions immergés.
    Au pied du haut immeuble, au-delà des lampadaires, était disposée une étroite plage de sable noir, brève parenthèse consentie par la roche qui reprenait ses droits à gauche, mais plus encore à droite où le rivage du golfe s’élevait, formait falaise : scène marine que nous dominions et, aussi bien, scène de l’espace et de la nuit qui nous englobait autant que nous en étions distincts, puisque la présence immense, flagrante – souffle chargé d’embruns, vacarme vaporisé dans l’atmosphère entière, exaltant, bienfaisant – nous embrassait.

    Tout au long du séjour qui venait de commencer, l’afflux allait m’accompagner ; je demeurerai dans sa constance. Le jour, je me rendais souvent sur le balcon pour le contempler. Le soir, après un dernier regard sur la procession des vagues se portant à la rencontre des rochers ou bien du sable, sur les luxueux et fragiles épanouissements dont s’enivrait la blancheur, sur les fusées et les envolées d’écume, les projections et les semailles qui faisaient que l’air n’était plus qu’une foule d’atomes bondissants, je m’allongeais, quand le sommeil me gagnait, dans le flot de présence immuable ; dans la nuit peuplée, je fermais les yeux, installé au sein de la rumeur.

    Oui, avant de m’endormir, j’avais fait glisser, encore une fois, le panneau vitré. L’ouvrir, c’était recevoir une bouffée d’univers. Car, dans l’ampleur vivante qui vous assaillait, l’océan et la nuit illimitée ne faisaient qu’un. C’était retrouver, sans plus rien qui vous en séparait, l’immensité accourue : elle était venue produire ici la magnificence et la liesse ; entretenir le déferlement rituel, l’ordonner ; propulser les gouttelettes sonores tournoyantes dont s’élevait la nuée. 
    Le Tout (soit ce qui est, en dépit des intervalles, d’un seul tenant) se donnait là, pour mes yeux, mes oreilles, mes narines. Se présentait dans cette effervescence, ce bourdonnement de molécules et d’astres, cette clameur ailée. Le Cosmos était cet essaim dont je sentais les effleurements sur mon visage. Je le humais.

    Vagues, à l’extrémité de leur course, lorsque la substance de la volute effondrée se répand : langues. Au lieu des langues de feu de l’Esprit, les avancées liquides, frémissantes, généreuses, de Physis l’énigmatique.
    C’est toi, Infini, qui me rejoins ici. Me prenant à témoin, m’interrogeant. Toi qui dis ta question, la redis : « Me voici. La vague qui étend pour finir cette mousseline limpide sur le sable sensible, nu, vois, je la déroule jusque sous tes yeux. Qu’en penses-tu ? »
    Tu le répètes, cet acte de présence, tu le renouvelles, le réitères.
    Tu insistes.
    Merci.

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